Dans son ouvrage, Le cinéma intérieur*, le neurologue Lionel Naccache, nous apprend que notre cerveau ne capte réellement que treize images par seconde de notre monde rétinien. Comme pour un film au cinéma, ce que nous percevons du monde ne serait donc qu’une succession de plans fixes, treize par seconde, que notre cerveau scénographie en imaginant les images manquantes. L’idée qu’il faille ralentir le réel pour le percevoir et l’imaginer pour le définir, interroge la compréhension de ce que nous sommes.

Analysons – imaginons : en réduisant notre séquence rétinienne à une seule image, les photographes s’inscrivent malgré tout dans un rythme cérébral d’analyse de treize images seconde. Il est donc probable que le cerveau continue d’imaginer des images manquantes. Il use pour cela de sa « banque de données » liée à sa perception des couleurs, des formes, des matières, des lieux, de tous les détails qui pourraient convoquer des expériences préalables pour construire ce qu’il pense être les images manquantes. Il crée ainsi une temporalité au-delà de l’image perçue. Ce qu’il n’a pas résolu : les incapacités ou les hypothèses sont livrées quand même, créent des événements sensibles. Le vécu étant différent pour chacun, l’agglomération de ces expériences préalables que livre notre cerveau, fait de chaque image, chaque photographie, une expérience singulière.

Nous pourrions faire l’hypothèse que la réalité photographique ou picturale, procède d’une intuition de l’artiste liée à cette particularité du fonctionnement cérébral. Que celui ou celle-ci, par anticipation, jouerait à prédéfinir, par suggestion dans son image, la production par le spectateur d’images manquantes particulières. Que comme au cinéma, une œuvre photographique serait la résultante d’un savant montage fait par l’artiste et le spectateur. Un plan fixe encadré par des images invisibles mais participatives. Ainsi l’œuvre agit comme un chef d’orchestre remuant notre cinéma intérieur, quand on la regarde elle fait partie de nous.

Pour PhotoBrussels festival 2023, ELEVEN STEENS a choisi six artistes développant des pratiques photographiques très distinctes. Les photographies de Luc Praet, se structurent par la lumière et surtout la matière. Les images qu’il propose ici, fonctionnent en diptyque et créent des séquences qui inscrivent une temporalité entre chacune. C’est comme si dans une maîtrise intuitive, parfaite des treize images secondes, il en avait choisi deux, parfois trois pour mieux accompagner la création de leurs images manquantes. L’incroyable matérialité des photographies de Luc Praet invite notre corps à participer à leur contemplation.

Harald Fernagu