Luc Praet travaille la photographie comme des œuvres d’art, en modelant ses tirages comme des dessins rares, les transformant presque en parchemins. Après avoir présenté, lors de sa précédente exposition, la genèse du projet ALTERED qui se déclinera en plusieurs thèmes, il se concentre sur celui du portrait de groupe dans ‘Several Heads’. De face, de dos, ses personnages semblent décalqués comme des tampons imprimés les uns à côté des autres, donnant à ses images une sensation de duplication à l’infini, à l’image de son projet qu’il souhaite sans fin et en constante recherche.

Dans cette nouvelle série, il assume plus que jamais l’appropriation, et la thématique de la transmission, de l’inspiration, interrogeant le rapport des artistes à ceux qui les précèdent et aux lieux qui hébergent leurs œuvres. En une dizaine de grands formats, il invite à la réflexion en jouant à la fois sur la démultiplication des corps, comme un jeu de miroirs embués, dans lequel on peine à distinguer les contours, et sur les empreintes que nous laissons. Celles de nos vies mais aussi celles de nos propres inspirations. L’art n’est-il pas qu’une restitution personnelle de ce que l’on a déjà vu, aimé, perçu, assimilé ?

Que voit-on ? Des apparitions, silhouettes furtives qui paraissent identiques et sans signe particulier pour les distinguer les unes des autres. Pourtant, chaque image dévoile progressivement d’infimes détails révélant leur singularité et laissant la place aux interprétations multiples. Le photographe propose au spectateur d’ajuster son regard, de faire sa propre mise au point, laissant à chacun le soin d’y voir ce qu’il souhaite. Et de se laisser surprendre en découvrant non pas une, mais plusieurs significations. Chaque photographie délivre ainsi une histoire multiple, reflet de ces silhouettes aux contours mouvants qui semblent sortir du cadre.

Luc Praet ne cherche pas l’interprétation fidèle mais à proposer sa vision personnelle, et celle que le spectateur projettera sur l’image. Dans le mouvement induit par l’intention de l’artiste, qui nous expose des foules compactes et pourtant terriblement singulières, il nous convie à une expérience qui nous incite à interroger la place de l’artiste par rapport aux autres et au sens même du geste artistique. À la manière des fantômes qui habitent les familles, les œuvres qui touchent et interpellent l’artiste s’incarnent à nouveau dans ce qu’il crée à son tour. Ce qui nous échappe est peut-être ainsi précisément ce que nous cherchons à reproduire, et ici Luc Praet en propose sa propre version, unique et universelle à fois.

Marie Lemeland